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Assurances : surévaluation frauduleuse des pertes, une déchéance de garantie jugée “hasardeuse” par la Cour d'Appel de Montpellier

  • sylviemarcilly
  • 12 oct.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 oct.

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⚖️ Cour d'appel de Montpellier, 11 septembre 2025 RG n° 24/00971




Rappel : la déchéance de garantie, qu'est-ce que c'est ?

La déchéance de garantie prive l’assuré de la garantie d’assurance.


C'est la sanction applicable en cas de manquements postérieurs au sinistre (C. ass., art. L. 113-2 4°).


La déchéance n’est envisageable que si la police y fait expressément référence.


Les manquements de l’assuré donnant lieu à déchéance peuvent consister :


  • dans un retard dans la déclaration de sinistre à l’assureur, à la condition que soit démontrée l'existence d'un préjudice causé à l'assureur,


  • dans une surévaluation frauduleuse des pertes, à la condition que soit rapportée la preuve de la mauvaise foi de l’assuré.



Les circonstances de l'affaire ayant donné lieu à l'Arrêt de la CA de Montpellier


Dans la nuit du 14 au 15 octobre 2018, des intempéries inondent le jardin et le rez-de-chaussée de la maison de Mme [C], laquelle déclare le sinistre à son assureur.


L’assureur mandate son expert, l'assurée fait appel à un expert d’assuré pour chiffrer ses pertes.


Madame C. sollicite une indemnisation d'un montant de 378 041,20 € sur la base du rapport de son expert.


L’assureur accuse son assurée de fraude, estimant que certains travaux réclamés — façade, toiture, terrasse — n’auraient aucun rapport avec les intempéries.


La Compagnie lui notifie une déchéance de garantie par courrier du 26 juillet 2019, l'informant qu'elle refuse de l'indemniser en application de la clause de déchéance de garantie, opposant une évaluation excessive et frauduleuse des dommages.


Aucune indemnisation ne lui est versée.


Madame [C] conteste la position de l'assureur, justifiant n’avoir rien dissimulé, ni exagéré.


L'assurée demande l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire, laquelle lui est refusée par le Juge des référés.



Le Jugement du Tribunal Judiciaire de Carcassonne, confirmé par la Cour d'Appel de Montpellier

Madame [C] saisit le tribunal de Carcassonne au fond, lequel lui donne raison, condamnant la Compagnie G. à l’indemniser.


Par Jugement du 18 janvier 2024, le Tribunal Judiciaire de Carcassonne condamne la compagnie G. à payer à Mme  [C] la somme de 308.628 € en réparation de son préjudice, outre 5 000 € en réparation de son préjudice moral et 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.


L’assureur fait appel. Devant la cour, il soutient que son assurée a tenté de frauder et maintient l'opposabilité de la clause de déchéance de garantie.


L'expert d'assuré est également mis en cause.


La cour d’appel de Montpellier retient que, si la clause de déchéance est valable, elle n'est pas applicable faute pour l'assureur de rapporter la preuve de l'intention frauduleuse (aucun faux document, aucune manœuvre délibérée).


La Cour rappelle et fait sienne la motivation des premiers juges ayant retenu :


"il appartient à l'assureur qui invoque la déchéance contractuelle de rapporter la preuve de la mauvaise foi de l'assurée, de la production de documents inexacts ou l'emploi de moyens frauduleux et de caractériser l'intention de l'assurée de faire supporter à l'assureur une indemnité indue."


La Cour expose les circonstances dans lesquelles les états de pertes et réclamations complémentaires ont été transmises et souligne que :


"la reconstitution historique des échanges intervenues permet de situer la réclamation complémentaire, qui n'a pas été formée directement par Mme [C] mais par son expert d'assuré, dans le cadre des échanges d'expert à expert et exclut toute volonté de frauder"



La Cour qualifie la déchéance d'« hasardeuse » et reproche à la Compagnie G. de ne pas avoir respecté la procédure prévue par son propre contrat (faire intervenir un troisième expert en cas de désaccord) :


"Cette déchéance de garantie est d'autant plus malvenue qu'elle survient dans le strict respect des stipulations du contrat et aurait dû conduire l'assureur, conformément à l'article 32 de ses conditions générales, à acter de la divergence des experts et à leur faire s'en adjoindre un troisième.


C'est donc à juste titre et pour les motifs qui précèdent que le premier juge a pu considérer que l'assureur ne rapportait pas la preuve qui lui incombait pour prononcer une déchéance de garantie que la cour de ce siège qualifiera d'hasardeuse.


En conséquence, le G. doit sa garantie et sa réclamation tendant à la restitution d'une indemnisation provisionnelle qui n'a rien d'indue à hauteur de 10000€ sera rejetée."


Les enseignements de l'arrêt

  1. L'assureur ne peut ni présumer de la mauvaise foi de son assuré, ni être autorisé à une suspicion systématique.


  1. La simple surestimation des dommages ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi de l'assurée, condition sine qua non de l'opposabilité de la clause de déchéance de garantie, l'assureur doit prouver une intention frauduleuse claire.


  2. Les assurés bénéficient d'une protection renforcée contre les déchéances de garantie abusives. Le simple fait de se tromper dans l'évaluation des dommages ou de suivre les conseils d'un expert ne peut constituer une fraude en l'absence d'intention malveillante caractérisée.


Cette jurisprudence invite les assureurs à privilégier le dialogue et les mécanismes contractuels d'expertise contradictoire avant d'envisager une sanction aussi radicale que la déchéance de garantie.

Sylvie MARCILLY, Avocat expert en sinistres immobiliers - indemnisation sinistres habitation & litiges assurances - sylvie.marcilly@avocat.fr


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