Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 3 octobre 2024, 22-19.538, Inédit
Par acte notarié régularisé le 29 mai 2017, le propriétaire d’un ensemble immobilier situé à proximité du Palais de l’Elysée conclut une promesse unilatérale de vente (PUV) avec un marchand de bien au prix de 19.480.000 €.
L’acte prévoit une indemnité d’immobilisation de 974.000 €, laquelle est versée par le bénéficiaire à la signature de l’avant-contrat ; elle est séquestrée chez le notaire.
Le bénéficiaire découvre après la signature de la PUV qu’un arrêté préfectoral du 3 mars 2017 restreint la circulation piétonne et interdit de manière permanente la circulation automobile dans un tronçon de la rue où se trouve le bien, ce qui à son sens fait perdre une grande valeur au bien, les facilités d'accès pour des commerces de luxe en constituant une qualité substantielle.
Il ne lève pas l’option d’achat en tentant de faire application de la condition suspensive de droit commun, laquelle prévoit que la vente ne sera pas réalisée « lorsque le bien a fait l'objet de mesures administratives de nature à en déprécier la valeur ».
Le promettant conteste et refuse de libérer l’indemnité d’immobilisation.
Le bénéficiaire assigne le promettant aux fins de restitution de l’indemnité d’immobilisation sur le fondement de la condition suspensive de droit commun et, subsidiairement, demande la nullité de la PUV pour dol ou erreur, plaidant que l'existence de l'arrêté préfectoral du 3 mai 2017 lui aurait été dissimulée.
Le Tribunal de Commerce d’AIX EN PROVENCE condamne le bénéficiaire au paiement de l’indemnité d’immobilisation ; il forme un appel. La Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE confirme le Jugement en retenant que le bénéficiaire ne rapporte par la preuve que la mesure administrative déprécie la valeur du bien, la mesure interdisant uniquement la circulation des véhicules et des piétons, ces derniers uniquement sur le trottoir en face de l’immeuble litigieux, l'ensemble immobilier ayant par ailleurs été vendu le 18 novembre 2019 pour un prix de 18 950 000 €, soit 530 000 € de moins que le prix convenu.
Le bénéficiaire forme un pourvoi, la Cour de Cassation confirme la décision de la Cour d’Appel et retient :
- Sur l’application de la condition suspensive de droit commun :
« Ayant constaté, procédant à la recherche prétendument omise, que l'arrêté préfectoral du 3 mai 2017 n'interdisait la circulation des piétons que du côté impair, alors que les immeubles objet de la promesse étaient situés du côté pair, la cour d'appel en a souverainement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, que la restriction de circulation des piétons n'affectait pas l'immeuble principal promis à la vente, faisant ainsi ressortir qu'elle n'en dépréciait pas la valeur.
- Sur la demande de nullité de l’acte pour erreur sur la substance :
« Ayant constaté, par motifs propres, que l'arrêté du 3 mai 2017 confirmait un précédent arrêté du 14 septembre 2016 et relevé, par motifs adoptés, d'une part, qu'à l'époque à laquelle les parties étaient entrées en négociation, les restrictions de circulation existaient déjà et que les bénéficiaires de la promesse ne pouvaient les ignorer pour avoir, à plusieurs reprises, visité l'immeuble dans les mois ayant précédé la signature de la promesse de vente, d'autre part, qu'aucune disposition de la promesse de vente ne faisait mention du caractère déterminant des conditions de circulation, la cour d'appel, qui a retenu que les restrictions de circulation n'étaient pas de nature à déprécier la valeur du bien promis, a pu en déduire que les demandes de nullité de la promesse pour dol ou pour erreur ne pouvaient être accueillies. »
Comment cela aurait-il pu être évité ? bien évidement, en ayant été plus vigilant sur l’environnement existant ou futur du bien et – surtout pour un tel investissement – décrire le projet afin de contractualiser les qualités substantielles, ce qui aurait permis de tenter de fonder la demande de nullité de la promesse de vente.
Il eut également été préférable de conclure une promesse synallagmatique de vente, pour bénéficier du pouvoir de révision du Juge du montant de l’indemnité (article 1231-5 du Code Civil).
Une vente qu’il aurait finalement été préférable de mener à son terme, ou d’en négocier la rupture par un accord transactionnel, pour éviter 8 années de procédure et une lourde condamnation.
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